Un monde sans gouvernail. Enjeux de l’eau douce

Un monde sans gouvernail. Enjeux de l’eau douce

Un monde sans gouvernail

La disponibilité et le partage de l’eau douce sont devenus des enjeux internationaux majeurs qui transcendent les préoccupations écologiques locales. Par son caractère vital et non substituable, son importance économique et politique, l’eau est en effet un bien essentiel dont l’utilisation de plus en plus intense est porteuse de tensions croissantes entre les États. Ces tensions appellent une collaboration internationale accrue pour partager de façon plus équitable une ressource d’intérêt universel, dont l’inégale distribution ne respecte pas les frontières. Selon Sylvie Paquerot, cette collaboration demeure largement insuffisante en regard des enjeux en question. Ainsi, l’eau ne dispose pas encore d’un statut juridique clairement établi ou d’une politique internationale cohérente permettant de soustraire cette ressource à la logique marchande qui prédomine trop souvent dans son exploitation. La principale contribution de cet ouvrage est de proposer une synthèse éclairante et concise des principaux travaux et débats sur la question en mettant en lumière les paradoxes entre les conséquences humaines souvent dramatiques de l’utilisation de plus en plus inégalitaire de l’eau et l’absence de véritable politique internationale sur la question.

L’ouvrage se divise en deux principaux chapitres montrant, à partir de perspectives différentes, la nécessité d’une approche mondiale et concertée de cette problématique. Le premier chapitre analyse la «globalité du cycle hydrologique» et ses conséquences écologiques, politiques ou économiques. Dans un premier temps, l’auteur s’attache à décrire le cycle hydrologique global de l’eau en comparant ce dernier à une sorte de «système circulatoire planétaire» indispensable au développement et au maintien de la vie sur terre. L’eau apparaît comme une ressource unique et multifonctionnelle dont la répartition très inégale et l’usage de plus en plus intense se traduisent, dans de nombreuses régions, par une situation de stress hydrique qui hypothèque toujours davantage les possibilités d’un développement durable. Dans un second temps, l’auteur montre les interdépendances écosystémiques et les incidences humaines du cycle hydrologique. Après avoir rappelé la fragilité des grands équilibres planétaires, qui sont menacés notamment par les variations climatiques, la déforestation et la désertification, les impacts environnementaux des différents usages de l’eau sont analysés: transport des eaux usées, introduction de matières chimiques ou organiques nocives découlant des activités industrielles, construction de barrages, irrigation et alimentation en eau potable, etc. Enfin, les usages excessifs de l’eau sont dénoncés à partir de données sur la consommation d’eau par pays, la capacité de renouvellement des ressources hydriques, les implications de l’agriculture intensive dans des régions arides ou encore l’épuisement parfois irréversible des eaux souterraines.

Le second chapitre de l’ouvrage analyse les conséquences humaines générales des interdépendances internationales précédemment évoquées. Dans un premier temps, l’auteur montre en quoi l’accès à l’eau est une condition de survie et de développement. Les conséquences de la pénurie ou de la pollution de l’eau sur la santé des populations, de même que les liens étroits entre le sous-développement et l’accès à cette ressource sont illustrés par de nombreux exemples. Les enjeux économiques de la raréfaction de l’eau et de l’augmentation des coûts de distribution sont également analysés. Dans un deuxième temps, l’auteur examine le rôle essentiel de la disponibilité de l’eau pour le maintien de la paix. Ce rôle s’explique en particulier par l’existence de bassins hydrographiques partagés, par la compétition croissante pour l’accès à cette ressource et par les utilisations dommageables de l’eau. Les cas assez connus des tensions internationales liées à l’utilisation des eaux du Colorado, de l’Euphrate, du Jourdain ou encore du Nil, qui traversent plusieurs pays ou régions, sont utilisés pour illustrer les conflits pouvant découler de l’usage unilatéral de l’eau.

Dans la conclusion, Sylvie Paquerot rappelle les dimensions non économiques de l’eau et souligne la nécessité de donner un statut international à cette ressource pour en faire un bien non négociable de première nécessité. Dans cette perspective, l’eau devrait être considérée comme une res republica, c’est-à-dire comme une chose publique régulée par des règles d’intérêt collectif protégeant de façon durable la dignité humaine de tous plutôt que les intérêts économiques du moment et de quelques-uns.

 Le caractère très engagé de cette conclusion traduit l’esprit général de l’ouvrage, qui se veut un guide de référence pour mieux comprendre les enjeux internationaux de l’eau, mais aussi un texte de sensibilisation percutant sur les dérives et les menaces pour la paix découlant des déséquilibres dans la répartition et l’utilisation de plus en plus inéquitables de cette ressource. La principale force de ce texte est le remarquable esprit de synthèse qui a présidé à son élaboration. En un peu plus de 150 pages, l’auteur parvient à brosser un tableau somme toute assez représentatif des principaux enjeux de l’eau tout en offrant de nombreux exemples et statistiques contribuant à enrichir de façon relativement convaincante la démonstration. Des thèmes aussi complexes que l’eau virtuelle, les conflits internationaux liés à l’eau ou encore les nouvelles technologies de captage et d’approvisionnement sont abordés dans un style toujours clair et élégant. En dépit du format «de poche» de l’ouvrage, la qualité de l’écriture, de même que la pertinence des exemples et des données donnent au texte une densité qui lui évite de paraître trop superficiel malgré la grande diversité des thèmes abordés. Cependant, comme indiqué dans le titre de la conclusion, l’ouvrage se termine à l’issue d’un «débat à peine amorcé». Étant donné la formation de politologue et de juriste de Sylvie Paquerot, on aurait pu s’attendre, entre autres, à des propositions plus précises et mieux étayées sur la res republica à laquelle en appelle l’auteur. C’est tout juste si les exemples de mesures européennes ou encore de quelques conventions internationales sur l’eau sont évoqués. En bref, on ne voit pas très bien, à l’issue de la lecture de l’ouvrage, à quoi pourrait bien ressembler une nouvelle gouvernance ou un droit international de l’eau, quelles en seraient les règles, comment elles seraient appliquées, par qui, etc. L’ouvrage soulève donc surtout des problèmes assez connus et qui ont été l’objet de nombreux travaux antérieurs sans réellement proposer de solutions ou d’alternatives précises. Mais ce n’est sans doute pas là son objectif premier. «Un monde sans gouvernail» demeure un excellent livre d’introduction qui s’adresse à un large public plutôt qu’aux responsables politiques ou aux experts sur un sujet d’une inépuisable complexité.

Olivier Boiral. Études internationales, vol. XXXVII, no 3, septembre 2006.

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Dans ce petit essai d’actualité, qui s’inscrit dans la lignée de nombreuses publications de réflexion sur les questions de gestion de l’eau, Sylvie Paquerot nous livre ses réflexions sur les enjeux actuels de l’eau douce et sur les orientations que devrait prendre, selon elle, tout projet de résolution des problèmes auxquels sera confrontée la communauté internationale. Curieusement, Mme Paquerot part du principe que le problème de l’eau est avant tout celui de la mort de plusieurs millions de personnes des suites de maladies transmises par l’eau. L’auteure poursuit en formulant l’hypothèse que la question de l’eau revient à celle de son statut en droit, afin «d’exclure son appropriation».

Non pas que ces décès ne constituent pas un scandale, que souligne avec raison l’auteure, un scandale d’autant plus grand que nos sociétés dites développées dépensent des milliards de dollars pour se protéger contre des attentats terroristes, alors qu’une partie de ces sommes pourrait réduire considérablement le nombre de victimes des maladies hydriques dans les pays en développement.

Mais, au-delà de ce scandale, les enjeux de l’eau dépassent, ou plutôt englobent, cette question de l’eau de consommation directe (boisson, alimentation, hygiène de base): ils renvoient, certes, aux investissements consentis pour assurer une distribution et un assainissement adéquat à l’ensemble de la population, mais aussi, comme le dit l’auteure dans le corps de son ouvrage, à la notion de rareté, que l’on peut préciser en expliquant qu’elle est souvent de nature relative, c'est-à-dire un construit social, résultant de la compétition pour l’appropriation d’usages sur la ressource. En ce sens, la problématique de l’eau et de son indéniable distribution inégale est avant tout d’ordre politique.

La première partie de l’ouvrage, traitant de la «globalité du cycle hydrologique», souligne à quel point il est illusoire de penser gérer l’eau au sein d’une unité spatiale considérée comme étanche, autonome, séparée des autres, qu’il s’agisse de l’État ou de la ville: l’eau circule, elle est abondante ici et rare là, elle ne tient pas compte des frontières, revient sous forme de précipitations, dont la répartition à la surface du globe pourrait être altérée durablement par le réchauffement climatique.

De fait, la répartition de la population mondiale ne correspond pas à celle de la ressource, un phénomène à l’origine de la richesse en eau per capita de quelques pays, dont le Canada, le Brésil, la Russie, l’Islande et le Congo. Certaines sociétés souffrent ainsi de pénurie relative dès lors qu’elles disposent de moins de 1700 m3 par personne et par an, de pénurie réelle en dessous de 1 000 m3, de stress majeur sous le seuil de 500 m3.

Si ces indicateurs statistiques ont leur utilité pour comparer des niveaux de dotation, ils souffrent cependant du défaut de toutes les données statistiques: leur caractère de données agrégées, qui reflète mal les réalités locales. Ainsi, une société qui jouit de suffisamment de précipitations pour pratiquer une agriculture pluviale a besoin de nettement moins d’eau, ce qui lui épargnera de souffrir de rareté même en deçà de 500 m3/personne. À contrario, la Namibie, en apparence bien dotée par la nature avec plus de 28 000 m3/personne, pâtit bel et bien de la rareté de l’eau, car cette donnée a été obtenue en intégrant les débits des fleuves frontaliers, situés à plus de 300 km des principaux bassins de population.

Au-delà de l’inégale dotation en eau des sociétés, l’auteure souligne avec justesse leur interdépendance: nombreux sont les pays dont les eaux, de surface ou souterraines, dépendent en partie des écoulements provenant d’au-delà de leurs frontières, et donc de la façon dont le pays en amont utilise ses eaux… et son territoire. La déforestation, par exemple, réduit à terme les écoulements en volume, mais aussi la temporalité de ceux-ci, qui auront tendance à être brutaux et brefs en période de pluie; la pollution, qu’elle soit d’origine industrielle, urbaine ou agricole, qui réduit les usages possibles de l’eau, parfois au point de la rendre totalement inutilisable sans de coûteux systèmes de traitement; la production de sources d’énergie (thermique ou hydroélectrique) qui induisent des impacts et des changements dans la qualité de l’eau: hausse des températures de l’eau pour la première technique, évaporation et production de gaz à effet de serre pour la seconde.

La seconde partie tire les conséquences de cette interdépendance, en soulignant leurs incidences sur les êtres humains. L’interdépendance oblige en effet, si l’on veut être cohérent, à repenser les objectifs de chaque société, pour tenir compte des besoins de celles des régions limitrophes. Il importe notamment de repenser les objectifs en terme de «sécurité alimentaire» conçus en des termes strictement étatiques. Ainsi, estil vraiment sensé sur le plan environnemental de poursuivre cet objectif en Égypte, sachant que le barrage d’Assouan provoque l’évaporation de 12 milliards de mètres cubes d’eau par an, outre la rétention du limon fertile, l’érosion du delta, l’apparition de nombreuses maladies? Il aurait sans doute été plus raisonnable de construire de tels réservoirs en Éthiopie, en altitude, et d’y produire là-bas, ce que les Britanniques Britanniques avaient envisagé au début du XXe siècle, mais que les gouvernements égyptiens successifs ont toujours refusé en vertu d’une représentation très territoriale de la sécurité. On ne saurait le leur reprocher; tous les gouvernements ont eu, à des degrés divers, une telle crainte de dépendre de l’étranger pour leur sécurité — mais la tension sur la ressource en eau exigerait, aujourd’hui, de changer de paradigme pour instaurer une logique de développement durable.

Au-delà des considérations de stratégie des États, comme le souligne l’auteure, les ressources en eau, compte tenu de leur circulation et de leur distribution, «ne peuvent supporter 6 milliards d’Américains» (p. 104): le style de consommation de chacun induit directement des besoins en eau, certes, mais aussi des besoins en produits industriels et agricoles qui, à leur tour, engendrent des usages en eau bien supérieurs en quantité aux seuls usages domestiques. La question de l’eau dans le monde, c’est aussi celle du paradigme de développement que l’on veut imprimer à la planète. Cette interdépendance implique aussi que tout traité signé pour résoudre un conflit se doit d’être juste, et non pas seulement de constituer un document juridique qui éteint à court terme les tensions, faute de quoi celles-ci reviendront. L’eau, facteur de paix, disent les optimistes? Oui, à condition de trouver l’équité.

Quelles solutions imaginer? L’auteure souligne le caractère très partiel des avenues offertes par le secteur privé, qui ne s’intéresse qu’aux réseaux urbains, alors que «80 p. 100 des gens qui n’ont pas accès à l’eau vivent en milieu rural». De plus, la façon dont les privatisations des services d’eau ont été gérées jusqu’à présent ne laisse guère entrevoir de projets qui puissent satisfaire les populations concernées, ou plus exactement, qui constitueraient des solutions socialement acceptables.

Cependant, il faut se garder aussi de tout sectarisme: à Cochabamba, devenue le symbole de la lutte contre le capitalisme dans le secteur de la distribution de l’eau en Bolivie, les 40 p. 100 de la population qui n’avaient pas accès à l’eau potable avant le départ de la firme privée Aguas del Tunari ne l’ont toujours pas, et cette question n’intéresse plus du tout la Coordinadora, porte-étendard du combat antiprivatisation. Le discours antilibéral est aussi un discours avec son propre agenda politique.

De façon plus générale, comment envisager une meilleure répartition de la ressource? Celle-ci peut être conçue au niveau de chaque bassin versant, puisque l’eau y circule naturellement; mais entre bassins? Entre monde riche en eau et monde assoiffé? Faudrait-il reprendre le projet cher à Jean Coutu d’exporter notre eau? Sans doute que non: la densité de l’eau est élevée, ce qui la rend beaucoup trop chère pour les pays en développement, sauf si les pays développés, collectivement, honorent la facture de tels transferts, ce qui ne réglerait rien, sur le long terme, tout en relevant du désastre environnemental pour les écosystèmes d’ici.

Certes, la Convention de 1997 ne règle pas les modalités d’une gestion équitable de l’eau au niveau planétaire. Elle ne parvient pas non plus à évincer l’État comme unité de gestion des eaux et à dépasser tous ses d’objectifs géopolitiques parfois opposés à ceux des voisins de bassin. Mais était-ce là son objectif? La Convention de 1997, récusée par deux acteurs majeurs, la Chine et la Turquie, procède d’une tentative de fournir un cadre juridique minimal pour amener les États à négocier pacifiquement des accords sur le partage de la ressource, et à introduire ainsi la notion d’équité au détriment de la notion de souveraineté territoriale, rejetée dans la Convention, au grand dam de nombreux États. Imparfaite, elle l’est certainement; à honnir, certainement pas, car elle constitue, il faut l’espérer, un premier pas vers des textes plus contraignants.

Quelques erreurs émaillent le texte, sans en altérer les conclusions ni la portée. Ainsi, cela fait longtemps que, grâce à l’amélioration des procédés de production, il ne faut plus 200 m3 d’eau pour produire une tonne d’acier (p. 67), mais bien 20 m3. Le secteur industriel, surtout dans les pays dits développés, a considérablement investi dans les procédés de recyclage et de réduction de la demande en eau. De même, le coût du dessalement des eaux saumâtres varie aujourd’hui entre 55 et 85 ¢/m3, et non plus entre 1 et 4 $ (p. 105), grâce aux fantastiques progrès de l’osmose inverse des 10 dernières années.

Par ailleurs, l’auteure déplore la logique des «usages multiples» de l’eau, aux États-Unis ou en Chine (p. 85), qui permet à un même volume d’eau d’être prélevé plusieurs fois pour différents usages. Or, au contraire, cette approche, dans la logique du recyclage, permet de multiplier les retombées positives des usages, à condition de développer des usages non consommateurs et relativement peu polluants. L’auteure ne développe pas la notion de consommation, c’est-à-dire la part des volumes d’eau perdue après usage (évaporation, infiltration profonde…), à ne pas confondre avec prélèvement, qui consiste à utiliser la ressource, et qui permet justement de comprendre la notion d’usage multiple. Pour qui a été en Chine du Nord, l’utilité de la réutilisation des volumes d’eau est manifeste, tant les besoins actuels sont importants par rapport à la ressource disponible.

Bref, pour qui veut s’initier aux enjeux politiques, sociaux et économiques de l’eau, voici un intéressant essai, volontiers provocant parfois — mais ainsi peut naître la stimulation intellectuelle! L’auteure pose des questions judicieuses auxquelles toutes les sociétés devront trouver une réponse globale, car les enjeux de l’eau appellent des solutions de gouvernance globale.

Frédéric Lasserre. Options Politiques, Octobre 2005.

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C'est en association avec la Chaire de recherche du Canada en mondialisation, citoyenneté et démocratie que Sylvie Paquerot nous présente Un monde sans gouvernail. Enjeux de l'eau douce, essai solide et bien documenté sur les différents problèmes environnementaux et sociaux qui se posent ou se poseront à l'homme quant à la gestion de cette ressource vitale.

Les questions écologiques etgéopolitiques sont toujours ardues à traiter à cause de la multiplicité des éléments qu'elles mettent en jeu. Il est très facile d'y perdre le lecteur et plusieurs auteurs, voulant ratisser trop large, en viennent à ne plus rien ratisser du tout… Sylvie Paquerot, toutefois, n'est pas tombée dans le piège. Méthodique, elle suit une progression logique de l'information, ne référant à rien qui riait été clairement défini au préalable. Le tout est clair, ordonné.

Le premier chapitre du livre est entièrement consacré au cycle hydrologique. À travers l'étude de ses composantes et de leur influence sur l'écosystème, l'auteure fait ressortir l'interdépendance des éléments du cycle de l'eau, qui est à l'origine de la complexité du problème. Elle aborde ensuite les différents types de perturbations envisageables et expose leurs effets à long et court termes sur les écosystèmes. Tout en dénonçant le gaspillage des riches, la surconsommation des Occidentaux et l'aberration des techniques actuelles d'agriculture, Sylvie Paquerot explore également les différentes «solutions» de rechange pour tenter d'en vérifier la validité.

La deuxième partie de l'essai traite des conséquences humaines et politiques qui découlent des problèmes environnementaux présentés dans le premier chapitre. Le quart de la population mondiale da pas accès à de l'eau potable de qualité en quantité suffisante: pourquoi? Et surtout, comment régler la situation? Appuyée par une multitude d'études et de statistiques, l'auteure fait alors le procès des méthodes de gestion actuelles qui tendent davantage vers la recherche de profits que vers une distribution équitable et judicicuse de l'eau.

D'une actualité accablante, Un monde sans gouvernail réussit à communiquer une bonne vue d'ensemble des enjeux de l'eau douce, sans pour autant tomber dans falarmisme ou la contestation gratuite. Bien construit, cimenté, l'essai de Sylvie Paquerot est à recommander à tout citoyen désireux de savoir ce qui se passe sur sa planète. Un incontournable.

Philippe Groppi, Nuit blanche, no 102, printemps 2006.

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Depuis la fin des années 1970, les enjeux liés à l’eau douce, élément vital dont la salubrité conditionne la préservation de l’espèce humaine et de la planète, ont bénéficié d’une attention particulière de la part de la communauté internationale. Cette situation s’explique par une prise de conscience soudaine par les principaux acteurs des relations internationales du mauvais traitement qui, dans tous les sens du terme, était fait à l’or bleu. Or, l’industrialisation de nos sociétés n’a depuis aidé en rien à la limitation de la pollution de nos eaux. De même, le pourcentage de citoyens de la planète ayant accès à un minimum vital d’eau douce reste très important. Le clivage «Nord/Sud» que connaît le monde, n’épargne pas en effet les conditions d’accès de la population mondiale à un élément qui lui est pourtant indispensable à tous égards.

L’eau répond, dans les faits, à une série de problématiques précises qu’il est important de bien cerner. Et c’est cette démarche que nous propose Sylvie Paquerot dans cet ouvrage.

L’auteur étant juriste de formation, on aurait pu penser que son nouvel écrit s’inscrive dans la lignée de ses productions précédentes, soit une réflexion axée sur les enjeux liés à l’eau douce d’un point de vue strictement juridique. Mais, il en va autrement! S. Paquerot a en effet opté ici pour une démarche bien plus englobante. Ce qui fait de son ouvrage une sorte de «petite encyclopédie» de l’eau. De la naissance de l’élément aquatique aux mauvaises utilisations qui en sont faites, en passant par son importance pour les écosystèmes, les défis qu’il impose aux États contemporains ou encore la manière par laquelle les conflits hydrauliques semblent nous guetter aujourd’hui plus que jamais, force est de constater que pas un seul des aspects liés aux enjeux hydrauliques n’a été négligé par l’auteur. Cas concrets, exemples, illustrations, chiffres et citations illustrent pour leur part très correctement la pensée de S. Paquerot qui ne manque pas, par ailleurs, de rappeler que la résolution des questions critiques liées à l’eau ne saurait connaître de cadre plus favorable que le droit. Ce, en dépit du constat sévère qu’elle fait lorsqu’elle affirme, en toute lucidité, que «l’incapacité du droit international à intégrer les différentes dimensions de la problématique de l’eau correspond largement à son ignorance structurelle de l’être humain» (p. 149).

Il n’y a pourtant de pire remède que l’inaction… ou la mauvaise action. Fait que déplore l’auteur lorsqu’elle affirme, après l’avoir démontré, que «les interventions humaines perturbent à la fois le cycle hydrologique, le système circulatoire de la planète, et la disponibilité des ressources en eau, en quantité et en qualité, ainsi que leur capacité de»recyclage”. Et les conséquences écologiques des activités humaines sont aujourd’hui d’une telle ampleur qu’en retour, elles ont elles-mêmes des conséquences graves sur les êtres humains, leur vie, leur santé, leur développement» (p. 85-86).

Peut-on, au bout du compte, réellement relever les défis que nous impose l’eau aujourd’hui? Oui, assurément. Mais les solutions techniques sont, bien que nécessaires, très loin de répondre à la condition fondamentale pour la préservation de nos ressources en eau douce renouvelable. Sans écarter, de notre point de vue personnel, la possibilité pour les entreprises du secteur privé de participer de la distribution de l’eau à l’échelle mondiale, l’or bleu reste nécessiteux d’un statut juridique déterminé, de manière à ce que puisse être garanti le droit comme la possibilité pour tout un chacun d’en bénéficier. Ce que S. Paquerot formule d’ailleurs très bien lorsqu’elle estime que «un statut de patrimoine public universel, de res publica, est essentiel comme réponse politique à la marchandisation de la vie et du vivant, des conditions de vie sur la planète: un statut qui va à contresens de l’évolution actuelle qui cherche à convertir toutes choses en marchandises» (p. 155). Reste à savoir, pragmatisme oblige, si le fait de parler de marchandisation de l’eau douce ne revient finalement pas, même indirectement, à reconnaître qu’une telle situation est malheureusement déjà largement engagée aujourd’hui…

Barah Mikaïl, IRIS, été 2006. www.iris-france.org/Notes-2006-06-01k.php3