Fédéralismes et mondialisation. L’avenir de la démocratie et de la citoyenneté

Fédéralismes et mondialisation. L’avenir de la démocratie et de la citoyenneté

Le développement de la mondialisation a engendré de profondes transformations des formes de la régulation économique et politique des États-nations. En quoi les diverses formes de fédéralisme peuvent répondre au défi de la mondialisation? Telle est l’interrogation à l’origine de cette publication, qui réunit des communications d’universitaires canadiens et européens présentées lors du colloque Fédéralismes et mondialisation, organisé par le Centre de recherche interuniversitaire sur la transformation et les régulations économiques et sociales (CRITERES), à l’Université du Québec à Montréal, en septembre 2000. L’accent est mis sur ce qu’est la mondialisation, sa nature politique ou économique, ses effets sur les dimensions constitutives de la modernité politique et les réaménagements de la régulation politique des sociétés contemporaines. Par rapport à la littérature exhaustive existante sur le sujet, ce livre collectif présente également l’originalité de fournir une lecture des phénomènes sous-jacents à la mondialisation sous divers angles. Chaque contributeur réfléchit ainsi aux diverses formes de fédéralisme comme solution aux problèmes posés à la fois à l’intérieur des territoires nationaux et dans des espaces territoriaux plus larges, régionaux continentaux, voire mondiaux.

La première partie traite de la relation entre mondialisation et fédéralismes. À partir des exemples canadien et européen, Bruno Théret (chap. 1) s’interroge sur le point de savoir si le fédéralisme est un moteur ou bien un régulateur de la mondialisation. Décryptant les différents dispositifs institutionnels de l’Union européenne, Mario Dehove (chap. 2) montre l’incompatibilité de l’expérience européenne avec chacun des trois modèles théoriques d’intégration: intergouvernemental, supranational et fédéral. L’article de Raphaël Canet et Laurent Pech (chap. 3) prolonge cette réflexion dans la mesure où ils s’appuient sur les cas du Canada et de l’Union européenne pour réfléchir à la pertinence de la distinction entre confédération et fédération.

La seconde partie est consacrée aux effets de la mondialisation sur la citoyenneté, la démocratie et la communauté politique. Tout d’abord, Gilles Bourque et Jules Duchastel (chap. 4) envisagent le fédéralisme à la lumière des problèmes et des réponses qu’il apporte aux défis posés par la mondialisation au système démocratique et aux entités qui se situent au fondement de sa légitimité: la communauté politique et le citoyen. Ils concluent à partir de l’exemple canadien au caractère non thérapeutique du fédéralisme et prescrivent l’Union confédérale comme remède au mal engendré par la mondialisation aux États-nations et aux États multinationaux. Jan Jenson et Martin Papillon (chap. 5) exposent l’historique du mouvement de revendication des Cris de la Baie James, groupe autochtone du Canada, pour montrer comment la reconnaissance de droits territoriaux et d’une identité spécifique aux Autochtones a remis en cause l’existence d’une seule communauté politique au Canada. Ensuite, l’approche conceptuelle de la mondialisation avancée par Michael Burgess (chap. 6) met en exergue l’ambivalence de ce «mot valise», qui implique comme Janus deux visages: celui de l’intégration et celui de la fragmentation. Dès lors, la mondialisation peut constituer soit un point d’achoppement soit un tremplin vers le nouveau millénaire, si elle sert à inventer de nouvelles institutions et de nouvelles formes de représentation plus démocratiques. À cet égard, le plaidoyer de Ian Angus (chap. 7) en faveur d’une démocratie décentrée repose sur une critique en règle du mythe de la délibération dans les théories classiques de la démocratie. À partir d’une analyse linguistique, il révèle l’aporie consistant à considérer que le débat public implique l’existence d’un peuple homogène. Partisan d’une démocratie radicale, il tente au contraire d’introduire dans la discussion les enjeux soulevés par le multiculturalisme et le postcolonialisme. Enfin, la contribution de Montserrat Guibernau (chap. 8) soulève la question délicate des nationalismes, enfantés par la mondialisation économique et politique et par l’universalisation culturelle, frappant les nations sans État. Malgré l’espoir de la généralisation des nationalismes démocratiques, l’émergence des nationalismes nourris à la xénophobie et au racisme provoque de grandes inquiétudes. Philip Resnik (chap. 9) compare au sein des États multinationaux les nationalités majoritaires (Belgique, Canada, Grande-Bretagne et Espagne), qui reposent sur une logique fédérale et l’idée d’un seul peuple, des nationalités minoritaires (les Québécois nationalistes, les Basques, les Catalans, les Écossais et les Flamands), qui s’appuient sur une logique confédérale et l’existence d’une pluralité de peuple.

La troisième et dernière partie aborde la question des conséquences de la mondialisation sur les nouvelles régulations politiques observables au Canada ou, sur une base comparative, en France, en Suisse et aux États- Unis. Il est question du poids qu’exercent les systèmes fédéraux sur les transformations des interventions étatiques dans les domaines économique, de la santé et de la protection sociale. Dans un premier temps, Gérard Boismenu et Peter Graefe (chap. 10) distinguent les dimensions politique et économique de la mondialisation pour classer les différentes provinces canadiennes en fonction de leur statut d’État région. Dans un deuxième temps, la loi 11 albertaine sur les services de santé sert de prétexte à Claude Couture et Josée Bergeron (chap. 11) pour s’interroger sur la pertinence de l’alternative entre le projet d’américanisation proposé par l’Alliance canadienne et le projet des Libéraux fédéraux, car ils font fi de la diversité nationale du Canada. Dans un troisième temps, François Xavier Merrien s’attache à comparer les politiques de lutte contre la pauvreté aux États-Unis et en Suisse (chap. 12) pour dénoncer le préjugé selon lequel le fédéralisme conduit automatiquement à une libéralisation des politiques sociales. Dans un quatrième temps, Pascal Dufour (chap. 13) propose une étude empirique des transformations des politiques des sans-emploi au Québec et en France pour illustrer la crise du régime de citoyenneté.

Il convient de saluer les approches théoriques et empiriques des différents collaborateurs de cet ouvrage, qui devrait intéresser tous ceux qui manifestent un intérêt pour les enjeux qui entourent le double phénomène de mondialisation et de fragmentation de nos sociétés. Certains pourraient cependant regretter l’absence de bibliographie en fin d’ouvrage, même si les notes de bas de pages sont suffisamment nombreuses et précises. Néanmoins, d’aucuns y trouveront des pistes de réflexion indispensables pour alimenter l’actuel débat sur la nature de la «constitution européenne», constitution d’un point de vue matériel et traité d’un point de vue formel. À ce titre, il est loisible de se demander après Joseph Proudhon si «le XX(I)e ouvrira l’ère des fédérations ou (si) l’humanité recommencera un purgatoire de mille ans».

Marie-Christine Steckel. Université de Limoges,France. Études internationales, mars 2004.

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La plupart des contributions rassemblées dans cet ouvrage sont issues de communications présentées lors du colloque Fédéralismes et mondialisation organisé à l’université du Québec à Montréal les 29 et 30 septembre 2000.

Trois grandes parties structurent la réflexion. La première s’interroge, d’un point de vue institutionnel, sur la signification qu’il convient d’accorder à la libéralisation des marchés et à la transnatio­nalisation de la production, à l’homogénéisation des cultures et à l’essor des technologies de l’infor­mation et de la communication. Pour Bruno Théret, «le principe fédéral est un principe d’autonomie dans l’hétéronomie [...], permettant de considérer comme dynamiquement stable un système où le partage de la souveraineté entre des ordres différents de gouvernement va néanmoins de pair avec une forme d’intégration [...] sanctionnant une interdépendance assumée et contraignante susceptible d’assurer l’unité du politique malgré sa fragmentation» (p. 40), l’Europe combinant de façon originale «intergouvernementalité» et «supranationalisme». Comme le souligne Mario Dehove, un certain nombre de tensions – voire de paradoxes – peuvent être par ailleurs mis en évidence: internationali­sation des échanges/zones d’autarcie, globalisation financière/polarisation des transactions, dispari­tion des frontières/contestation de l’universalisme... La distinction entre État fédéral et confédération, font observer pour leur part Raphaël Canet et Laurent Pech, est ici essentielle, d’autres formulations comme celle de «pacte fédératif» (s’inspirant des idées de Carl Schmitt) méritant également attention car pouvant constituer une «voie médiane».

Après ces éléments de cadrage, place à l’analyse des diverses conceptions du sujet démocratique, de l’espace public et de la citoyenneté. Celle-ci, font valoir Gilles Bourque et Jules Duchastel, tend à devenir de plus en plus «catégorielle» et multiforme, ruinée de l’intérieur par des intérêts corporatistes. La problématique de la reconnaissance apparaît, dès lors, comme centrale. La mobilisation des communautés autochtones (songeons, dans les années 1970, à l’opposition des Cris de la Baie James au projet de barrages d’Hydro-Québec) en fournit une excellente illustration, la voie juridique – Jane Jenson et Martin Papillon y insistent à juste titre – étant souvent privilégiée. On peut aussi, dans le cadre de la Charte canadienne des droits et libertés de 1982, raisonner en termes de «multiculturalisme», prendre appui, avec Michael Burgess, sur un modèle «cosmopolite» qui servirait de base à une «plate-forme commune d’action» (p. 163) ou militer, comme nous y invite Ian Angus, pour une approche «postcoloniale», laquelle renvoie à l’«impossibilité de hiérarchiser la pluralité des traditions» (p. 173). La problématique identitaire est également présente dans le cas des «nations sans État» (Montserrat Guibernau) et constitue un défi de taille pour des pays comme l’Espagne, la Belgique ou le Royaume-Uni (Philip Resnick).

Les derniers chapitres s’inscrivent dans une perspective comparatiste. François-Xavier Merrien procède ainsi à une évaluation des politiques de lutte contre la pauvreté menées en Suisse et aux États-Unis, l’histoire de la protection sociale prenant souvent des contours inattendus mais n’étant jamais totalement déconnectée d’un ensemble complexe d’événements marquants et de décisions fondatrices. Pascale Dufour, de son côté, confronte les discours et les pratiques ayant trait au «hors-travail», la France et le Québec n’ayant pas la même perception de l’insertion ou de l’assistanat. L’étude des relations entre «provinces», en particulier au Canada, enrichit la discussion et met l’accent sur le développement d’un «nouveau régionalisme», la poursuite d’un «fédéralisme fonctionnel» n’étant pas sans poser problème (Gérard Boismenu et Peter Graefe). En témoignent les débats autour de la question de la privatisation de la santé (cf. l’examen critique, par Claude Couture et Josée Bergeron, de la loi albertaine du 28 septembre 2000). Les régulations qui s’opèrent, est-il rappelé en conclusion, varient en fonction des situations sociohistoriques propres à chaque société.

Une contribution, au total, bien charpentée et fort instructive, associant de manière adéquate paradigme de la gouvernance et paradigme des identités.

Gilles Ferréol. Université de Poitiers (LARESCO-ICOTEM)