Guide du maintien de la paix 2005

Guide du maintien de la paix 2005

Depuis la première parution de ce guide en 2003*, Jocelyn Coulon a permis à cet ouvrage collectif de devenir une référence en la matière pour les spécialistes, les étudiants et les chercheurs. On pourrait croire le principe de guide annuel récurrent, mais l'idée, ici, d'axer l'édition autour de la thématique de la régionalisation des opérations pour le maintien de la paix prend une tout autre dimension. Elle est autant plus importante puisque la première partie «Textes», à nouveau plus riche (9 contributions pour cette troisième édition), se compose d'articles rédigés par des acteurs, des personnalités et des spécialistes internationaux.

Suite aux difficultés de gestion de la paix et aux cicatrices de la première moitié des années 1990 (Balkans, Soinalie et Rwanda), les pays occidentaux se font opération nellement plus discrets dans le cadre de l'ONU, ouvrant ainsi la voie à une régionalisation pour le maintien de la paix, Pour éviter une marginalisation du Conseil de sécurité, l'ONU se doit d'étudier avec intérêt la recrudescence et le rôle de ces ententes régionales et leur apporter soli soutien.

Afin de bien comprendre ce principe de régionalisation, Michel Liégeois, chargé de cours à l'Université catholique de Louvain, dresse tout d'abord un tableau évolutif en s'appuyant sur les enjeux qui, aujourd'hui, réorientent cette notion du maintien de la paix. Faisant suite aux fondements juridiques, son analyse des plus objectives permet au lecteur de distinguer les principaux avantages et inconvénients de la régionalisation. La remise en contexte permet aussi de mieux comprendre cette redéfinition structurelle du système des Nations Unies afin de développer une stratégie de consolidation de paix. Certes les intérêts — ou, plutôt — les désintérêts des Occidentaux favorisent le développement de cette nouvelle forme interventionniste mais, comme le souligne l'auteur, le débat demeure difficile tant les théâtres et les exemples sont disparates.

C'est en quelque sorte dans un rôle de sous-traitance des Nations Unies qu'interviennent les organisations régionales et multinationales telles que l'OTAN, l'UE et la CEDEAO, par exemple. Avec ou sans traité de résolution du Conseil de sécurité, ces organisations œuvrent, la plupart du temps, pour le maintien de la paix à l'intérieur de leur sphère d'intérêt politique et économique à l'exception seulement, parmi les articles suivants, du Congo.

C'est par le biais de l'Opération Arthémis (République démocratique du Congo) que Thierry Tardy, enseignant-chercheur au Centre de politique et de sécurité de Genève, évoque la problématique de la coopération interventionniste de l'UE au sein de l'ONU. Il est intéressant d'étudier la genèse politico-militaire sur le coinniandement, l'implication et l'opinion des États membres qui ont, sous l'égide de la France («nation-cadre»), participé à cette mission temporaire préalablement approuvée par le Conseil de sécurité. D'un bilan positif, Arthémis servira de tremplin à d'éventuelles implications des forces d'actions rapides commanditées par l'UE qui entend bien conserver son autonomie décisionnelle, c'est-à-dire sans être vassal des Nations Unies.

Autre exemple de «nation-cadre», le volontarisme de l'Australie dans le Timor oriental n'est autre que la prise de conscience du gouvernement Howard pour assurer la sécurité nationale et économique du pays qui ne peut désormais plus compter sur son isolement géographique. Cette étude réalisée par Charles van der Donckt, docteur en sciences politiques à l'Australian National University (Canberra) et conseiller en relations internationales au Bureau du Conseil privé à Ottawa, démontre que cette réussite de l'Australie la charge, avec le soutien indispensable de la Nouvelle-Zélande, d'assurer la stabilité du voisinage immédiat et plus particulièrement dans le secteur du Pacifique Sud. Au niveau de la sécurité intérieure, les Insulaires ont adopté une mesure prioritaire relative à la lutte au terrorisme, ce qui lui permet, malgré de fortes oppositions, de tisser des liens diplomatiques et économiques avec les États-Unis.

Au cours des années 1990, l'instabilité de certains territoires de l'ex-URSS oblige la Russie et la CÉI (Communauté des États indépendants) à y maintenir une force de paix. Pierre Jolicœur, doctorant à l'UQAM (Université du Québec à Montréal), démontre que ces opérations d'intérêts géopolitiques trouvent difficilement un juste milieu entre dissuasion (imposition de la paix) et passivité (présence pour le maintien de la paix). Au cours des dernières années, la politique étrangère russe de Poutine se montre militairement moins coercitive mais cette solution rie permet pas de résoudre l'ensemble des conflits.

Les cinq autres contributions s'orientent vers le continent africain où quelques ententes régionales (CEDEAO, CEMAC, UA, IGAD, SADC) tentent de développer des procédures viables pour l'instauration et le maintien de la paix. jugées parfois partisanes, ces organisations rie sont-elles pas vouées. et surtout les mieux adaptées ou adaptables, à gérer cette nouvelle forme de conflit intra-étatique? Quelles sont les défaillances et surtout les perspectives d'amélioration et de consolidation de cette régionalisation volontaire en Afrique?

Respectivement doctorant et professeur adjoint en sciences politiques de l'Université de Montréal, Patrice Emery Bakou et Mamoudou Gazibo décrivent de brillante façon l'origine de certains conflits d'Afrique subsaharienne (font les oppositions fratricides semblent difficilement rnaîtrisables. En réalité, cette dimension identitaire (ethnies et religions) n'est qu'un instrument de lutte politique, puisque le réel problème provient principalement de la gestion du pouvoir et des ressources de l'État. Déplorant des inécanisnies institutionnels de contestation et d'opposition inefficaces ou inexistants, les auteurs évoquent certaines perspectives de sortie de crises, telle une participation internationale pour superviser les élections ou par des actions de médiation.

Cet exemple de gestion du pouvoir et des ressources de l'État est parfaitement décrit par Yves Tremblay, historien au ministère de la Défense nationale à Ottawa, dans le cadre de l'ONUC (Opération des Nations Unies au Congo) entre 1960 et 1964. Suite à l'indépendance du Congo, les sécessionnistes de la prolifique province minière du Katanga ont demandé l'envoi de 10 000 parachutistes belges, jugés partiaux, face à une armée nouvellement façonnée par des officiers congolais inexpérimentés. C'est dans cette vole sans issue que le nouveau gouvernement a fait appel à l'ONU. Non sans mal, FONUC parviendra à superviser le retrait des troupes belges pour ensuite apaiser et résoudre la crise constitutionnelle. Après quelques mois de présence et les affrontements au milieu du maelström de cette guerre civile qui se préparait, les troupes onusiennes étoufferont difficilement la sécession katangaise pour ensuite consolider le gouvernenient central avant son repli du Congo.

Dans son bref historique de la création de la force ECOMOG; déployée par la CEDEAC) (Libéria de 1990-1997, Sierra Leone de 1997-2000 et Guinée-Bissau en 1999), Niagalé Bagayoko-Perone, chercheure à l'Institut de recherche sur le développement à Bruxelles, révèle les difficultés de coopération et d'organisation qui ont fait défaut lors de ces premières sorties. Toutefois et malgré la prédominance du Nigeria, l'ECOMOG s'est révélée prometteuse et, pour améliorer les procédures interventionnistes, la CEDEAO a adopté un protocole relatif au mécanisme de gestion régionale des conflits qui institutionnalise un cadre juridique. Aidée par un Observatoire régional de la paix et de la sécurité, l'ECOMOG devient un modèle d'intervention désormais mieux géré quant à sa désignation participative des États membres au niveau administratif, logistique et humain.

C'est selon le concept du Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix (RECAMP) que des Écoles nationales à vocation régionale (ENVR) entreprennent d'inculquer la prévention et la gestion de crises, comme c'est actuellement le cas à l'Ecole de maintien de la paix (EMP) qui a ouvert ses portes cri Côte-d'Ivoire (1999) avant d'être re-localisée au Mali (2003). Le lieutenant-colonel Pascal Facon et le directeur des études de cette école, Modibo Goîta, expliquent clairement les avantages et les perspectives de l'EMP qui, déjà au ternie de l'année 2004, a formé près d'un millier d'officiers africains. Cette entreprise francophone, qui ne saurait être possible sans le soutien de la France et la collaboration du Centre canadien Lester B. Pearson, espère pérenniser, à moyen terme, ces stages en formant des formateurs africains et en bâtissant une école aux structures d'accueil adaptées. Pour ce faire, ces projets devront, bien entendu, compter sur l'appui de l'ONU ainsi que sur d'autres partenaires internationaux.

Pour conclure sur les institutions régionales de maintien de la paix en Afrique, Poussi Sawadogo, docteur en histoire africaine à l'Université d'Ouagadougou (Burkina-Faso), met l'accent sur les valeurs propres aux communautés africaines afin de prévenir ou de résoudre certains conflits. C'est avec l'exemple des palabres et des conseils de cour du riungu (royaume) de Busma que l'auteur propose cet objet d'étude afin de faire évoluer l'efficacité dans les processus de maintien de la paix. Ces assemblées traditionnelles, où l'on retrouve une harmonisation sociale et un équilibre communautaire, ont pour effet de résoudre les différends par l'écoute et la parole qui débouchent vers des riégociations et des consensus. Sous l'autorité d'un sage faisant office de médiateur, ces assemblées invoquent différents moyens de sensibilisation telles l'histoire, la culture et la religion afin d'aspirer à la tolérance et au pardon. Une excellente leçon sociologique.

Comme dans la précédente édition, la section «Document» est réservée en grande partie à une chronologie annuelle du maintien de la paix (juillet 2003 à juillet 2004) d'une quarantaine de pages, réalisée par Stéphane Tremblay, chercheur au Centre Pearson. Cette méticuleuse chronique, divisée par organisme et/ou théâtre d'opérations, est un instrument incontournable tout comme les données statistiques et les liens «en ligne» qui suivent. Préparées pour la seconde fois, par Mélanie Pouliot (UQAM), plusieurs données relatives aux missions de paix, aux contributions humaines et financières ont été compilées ainsi qu'un tableau fort utile des acronymes et des descriptions des opérations effectuées depuis 1948. En dernier lieu, plus de 160 sites interne (dont une cinquantaine en français), accompagnés chacun par une description sommaire, ont été recensés puis répartis en plusieurs champs d'intérêts distincts, facilitant ainsi la recherche sur la Toile.

Le Guide du maintien de la paix (version 2005), coédité par le CEPES (Centre d'études des politiques étrangères et de sécurité), possède l'atout d'être à la fois un outil de consultation et un ouvrage de réflexions où spécialistes du monde entier tentent d'éclairer le passé, le présent et le futur des opérations pour le maintien de la paix.

* Cf Relations internationales, no 119, automne 2004, p. 408-410.

Éric Couru, Docteur eu histoire. Relations internationales, no 124, hiver 2005.

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Voilà un guide qui s’avère bien utile à tous ceux qui s’intéressent aux opérations de paix dans le monde. La période 2003-2004 a été fertile en événements dans le domaine des opérations de paix. En effet, les opérations, sous quelque forme que ce soit – coalitions des volontaires, missions classiques, forces multinationales intérimaires – se sont multipliées et le nombre de pays participants et de personnes engagées a augmenté. La pratique du maintien de la paix a été marquée une fois de plus par la régionalisation de ses opérations. Jocelyn Coulon qui dirige la publication montre bien dans son introduction que ce phénomène n’est pas nouveau. Il est apparu au milieu des années 1990 pour pallier les insuffisances logistiques et les tergiversations politiques de l’ONU. Il s’accentue depuis trois ou quatre ans, et de plus en plus d’organisations régionales ou sous-régionales, certaines organisations de sécurité, comme l’OTAN, et des groupes d’États participent activement et parfois massivement à des opérations de paix. L’auteur signale à juste titre que le rôle croissant joué par les organisations régionales dans ces opérations est loin de faire l’unanimité et pose nombre d’interrogations, dont celles sur le désengagement des Occidentaux face aux missions de l’ONU et sur la marginalisation du Conseil de sécurité.

La régionalisation est le thème du Guide du maintien de la paix 2005, et la majorité des textes y est consacrée. Cet ouvrage n’épuise évidemment pas le sujet. Jocelyn Coulon signale d’ailleurs que les textes portent essentiellement sur le rôle militaire de la régionalisation alors que de nombreuses institutions, telles l’Organisation des États américains (OEA) ou l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), consacrent temps et énergie à des aspects importants du maintien de la paix, comme la supervision des élections, la promotion de la démocratie, la défense des droits humains ou l’instauration de mesures de confiance.

La première partie de l’ouvrage est composée de neuf textes dont la majorité est consacrée au thème de la régionalisation. Une ligne de force se dégage à la lecture de plusieurs d’entre eux. En effet, les auteurs soulèvent tous la même interrogation: les opérations de paix régionales sontelles menées au nom de grands principes ou répondent-elles à des impératifs d’intérêts nationaux?

En guise d’introduction, Michel Liégeois, de l’Université catholique de Louvain en Belgique, met la table. Après avoir rappelé les fondements juridiques sous-jacents à la régionalisation, l’auteur souligne le contexte historique dans lequel elle s’est déve- loppée et décline les avantages et inconvénients du maintien de la paix régional. Le tableau qu’il brosse est tout en nuances, d’où la difficulté d’embrasser ou de rejeter d’un bloc la pratique de la régionalisation. Pour autant, signale l’auteur, le débat sur la régionalisation, est d’abord et avant tout une série de questions plus politiques que techniques – volonté des pays riches d’aider l’ONU, rôle du Conseil de sécurité, etc. – et ne pourra s’achever qu’une fois des réponses trouvées.

Les trois textes qui suivent décrivent les actions entreprises par des organisations régionales ou par un groupe de pays pour mettre sur pied, déployer et gérer des opérations de paix. Thierry Tardy, du Centre de politique de sécurité de Genève, utilise le cas de la mission Artemis, au Congo en 2003, pour décrire les ambitions de l’Union européenne, acteur régional du maintien de la paix, mais également le jeu particulier de la France dont l’engagement a porté à bout de bras cette opération de paix. Il relève que la mission a été couronnée de succès mais que son caractère restreint ne peut, à l’instar des trois autres petites missions dans les Balkans menées par l’Union européenne, avoir valeur de précédent pour évaluer correctement l’efficacité politique et militaire des actions de l’Union dans la problématique du maintien de la paix. Charles van der Donckt, conseiller en relations internationales au Bureau du Conseil privé, à Ottawa, analyse le rôle déterminant de l’Australie dans les opérations de paix en Asie-Pacifique. Il constate que l’Australie, très discrète jusqu’au début des années 1990, est devenue très rapidement un acteur de premier plan en menant des opérations de paix au Timor oriental, à Bougainville et aux îles Salomon, en plus de participer activement aux guerres en Afghanistan et en Irak. Pour l’auteur, l’Australie n’a pas le choix de l’isolement. Dans une région en plein changement, elle doit se montrer proactive. Pierre Jolicœur, chercheur associé au Centre d’études des politiques étrangères et de sécurité de l’UQAM, présente lui aussi un autre acteur fort discret du maintien de la paix, la Russie. En effet, suite à l’implosion de l’Union soviétique, des conflits ont éclaté dans de nombreuses républiques ex-soviétiques, et la Russie n’a pas tardé à y intervenir. D’abord avec agressivité, s’affichant même en faveur de certains protagonistes, puis avec plus de modération, tentant de jouer les médiateurs. Pour l’auteur, la Russie doit joindre le débat sur la nature changeante des opérations de paix dans le monde et tisser des liens avec l’UE à un moment où celle-ci s’apprête à prendre le relais des missions de l’OTAN dans les Balkans.

Les textes suivants concernent l’Afrique. Et c’est bien normal quand on sait que presque la moitié des États africains est touchée de près ou de loin par un ou des conflits. Pour bien comprendre la situation du continent africain, Mamoudou Gazibo et Patrick Emery Bakong, du département de science politique de l’Université de Montréal, proposent une nouvelle lecture des conflits en Afrique subsaharienne, identifient les principales zones de ces conflits et s’interrogent sur les défis à relever et sur les perspectives de sortie de crise. Pour sa part, Niagalé Bagayoko- Penone, chercheur à l’Institut de recherche sur le développement à Bruxelles, s’interroge sur les expériences de résolution des conflits sur le plan régional. Pascal Facon et Modibo Goïta, respectivement directeur des études et professeur de droit à l’École de maintien de la paix (EMP) créée en 1999, présentent cette institution francophone installée au Mali.

Les deux derniers textes de cette section nous invitent à questionner l’histoire et aussi, à prendre connaissance des pratiques traditionnelles de résolution des conflits. Yves Tremblay, historien au ministère de la Défense nationale du Canada, rappelle comment la première mission de l’ONU au Congo en 1960-1964, a mis fin avec l’usage de la force à la sécession du Katanga et, du coup, a bouleversé les règles du maintien de la paix telles qu’élaborées en 1956 par Lester B. Pearson et Dag Hammarskjöld. Pour sa part, Poussi Sawadogo, docteur en histoire de l’université de Ouagadougou, au Burkina Faso, décrit l’expérience de la palabre et de réunions de cour au royaume de Busma, dans son pays, pour souligner que le défi de la paix en Afrique est avant tout un défi de la communication traditionnelle qui est dialogue, compromis, consensus et démocratie.

La deuxième partie du Guide est consacrée à une chronologie détaillée et bien utile des événements significatifs qui se sont déroulés dans toutes les opérations de paix en cours ou terminées entre juillet 2003 et juillet 2004.

La troisième partie rassemble des données statistiques absolument essentielles pour la recherche. On y trouvera des tableaux sur les activités de maintien de la paix de l’ONU et pour la première fois, de l’OTAN, de l’Union européenne, de l’Union africaine, de la CEDEAO, de la CEMAC, de la CEI (Communauté des États indépendants) et de la force multinationale aux îles Salomon.

La quatrième partie est entièrement consacrée aux sites Internet. Mise à jour, elle propose les adresses électroniques des sites de plusieurs missions de paix, d’organisations régionales et internationales, de gouvernements, de glossaires et de bibliothèques, de centres spécialisés, etc.

Cette édition 2005 du Guide du maintien de la paix offre donc un menu copieux où le lecteur découvrira très certainement de l’information et des statistiques essentielles sur les opérations de paix menées dans le monde. Un ouvrage très certainement utile pour les étudiants et les chercheurs.

Simon Petermann. Département de science politique Université de Liège, Belgique, Études internationales, volume XXXVI, no 3, septembre 2005.