La nation en débat. Entre modernité et post-modernité

La nation en débat. Entre modernité et post-modernité

Le présent ouvrage rassemble la plupart des communications présentées lors du colloque intitulé Penser la nation dans l’espace francophone: Expériences nationales particulières et réflexion générale sur la nation, organisé par l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences (ACFAS), et qui a réuni une douzaine d’intervenants à l’Université de Montréal en mai 2000. Le principal attrait de ces contributions, par rapport à la littérature existante, c’est qu’elles s’interrogent sur la capacité de la nation à incarner la communauté politique dans un contexte de mondialisation et de fragmentation des sociétés modernes. Ce double processus de mondialisation/ fragmentation semble remettre en cause les liens de légitimation et de représentation qui unissent la nation, l’État et la société, à la fois par le haut (effritement des pouvoirs régulateurs de l’État-nation au profit d’instances supranationales, autonomisation de la sphère économique) et par le bas (multiplication des revendications particularistes conduisant à une fragmentation du sujet politique dans des sociétés où la problématique identitaire est devenue centrale en contexte migratoire dynamique et du fait de la proximité physique de po- pulations aux horizons culturels variés). L’autre originalité de l’ouvrage tient à la diversité des exemples nationaux retenus pour mieux comprendre la nation en tant que concept. Ce recueil permet, ainsi, de croiser les analyses variées d’auteurs qui ont choisi de se pencher sur les expériences canadienne, française ou belge.

La première partie du livre est consacrée à une réflexion théorique sur la crise de l’État-nation. Un ensemble d’analyses, portant sur des cas historiques particuliers, menées à partir de positions théoriques différentes, est ainsi proposé. Deux problématiques s’en dégagent. La première concerne la fonction de représentation de la communauté politique (section 1) à travers les exemples québécois et français. Ainsi, trois sociologues pensent la crise de la légitimité de l’État-nation comme une inadéquation entre la structuration de nos sociétés et les formes de la nation censées la représenter. D’abord (chap. 1), Gilles Bourque entend penser la nation québécoise dans la nouvelle configuration des rapports sociaux au Canada, depuis l’adoption du libre-échange et la montée des revendications particularistes. Il voit dans l’avènement d’une union confédérale et dans la reconnaissance du caractère plurinational et multiculturel des Québécois, une solution à la crise du fédéralisme canadien et aux revendications du mouvement nationaliste québécois. À partir, ensuite (chap. 2), d’une interrogation sur la pertinence de la dichotomie entre la nation «communauté d’histoire» et la nation «espace de citoyenneté», Jacques Beauchemin offre une vision «politico-identitaire» de la crise au Québec. Il préconise la construction d’une nouvelle communauté politique, fruit d’un compromis établi par le bas, entre les différentes fractions du sujet politique québécois, ainsi rassemblées autour de valeurs suffisamment ouvertes et démocratiques pour reconnaître l’apport enrichissant de la diversité. Michel Wieviorka, enfin (chap. 3), étudie les mutations de l’idée de nation, en France, depuis le début des années soixante-dix. Il en conclut qu’en raison même de sa nature de construit, la nation peut se modifier, et donc surmonter les difficultés inhérentes au double contexte de mondialisation et de fragmentation auquel elle est aujourd’hui confrontée. La deuxième problématique se concentre sur la fonction de légitimation de la communauté politique (section 2). Ainsi, Diane Lamoureux (chap. 4) qualifie de «mythe» l’Étatnation dans le discours nationaliste québécois, et propose de «sortir de l’ornière moderniste» en reconnaissant que «nous ne vivons plus à l’ère des États-nations». Cela suppose de prendre conscience de la pluralité des lieux d’appartenances politiques et de «penser le politique sur le mode du multiple». Toujours à partir de l’expérience québécoise, Claude Couture (chap. 5) présente une lecture critique de l’œuvre d’Eric Hobsbawm et de Liah Greenfeld pour montrer que dans tout projet d’universalisation se trouve un rapport de force.

La deuxième partie de l’ouvrage traite des aspects méthodologiques de la recherche, afin de cerner la réalité nationale. Cette méthodologie repose sur une théorisation de l’objet nation, que celle-ci soit le fruit d’une observation empirique ou d’une réflexion conceptuelle. Les cas de la Belgique et du Canada permettent à François Rocher et André Lecours (chap. 6) de souligner l’importance des rapports de force dans la construction des nationalismes. À partir, enfin (chap. 7), d’une analyse critique de la dichotomie entre les conceptions allemande et française de la nation, Raphaël Canet affirme qu’il existe un déterminisme historico-social de la pensée. Il propose donc une méthode en trois temps pour l’analyse théorique de l’objet nation: 1) définir le contexte sociétal d’émergence de la représentation nationale; 2) réfléchir à la relation qui va s’établir entre ce contexte et la forme spécifique de la représentation nationale; 3) analyser le possible rapport entre le ou les discours officiels sur cette représentation de l’identité collective et le discours ordinaire diffus et multiforme sur ce même objet.

Par souci de respecter à la fois l’esprit du livre et celui du colloque, une trentaine de pages, placées en fin d’ouvrage, permettent de relater les débats suscités par ces questions. On y retrouve, notamment, les clivages épistémologique et conceptuel entre les approches modernes et postmodernes de la nation.

Cet ouvrage constitue un outil pédagogique et synthétique pour travailler sur le concept de nation, ce qui n’est pas chose aisée, compte tenu de son ambivalence. Il peut, à ce titre, être conseillé aux étudiants mais aussi à tous les enseignants/ chercheurs qui souhaitent approfondir leurs connaissances en la matière. Les réflexions ainsi avancées permettent au lecteur de confronter diverses expériences théoriques particulières portant sur le concept de nation à travers le prisme de contextes nationaux spécifiques très concrets.

Marie-Christine Steckel. Université de Limoges, France