Mon Afghanistan

Mon Afghanistan 

http://www.journal.forces.gc.ca/vol15/no2/PDF/CMJ152Fp67.pdf

Pour être franc avec vous, j’ai feuilleté le livre du lieutenant-colonel Steve Jourdain à plusieurs reprises avant de me décider à m’en procurer un exemplaire. J’en lisais quelques pages ici et là, puis je le remettais sur les rayons. Ayant fait un séjour en Afghanistan en 2006, quelques jours après l’opération Médusa et pendant les événements qui ont mené à la perte de l’adjudant-chef Robert Girouard, je doutais fortement que ce livre allait m’apprendre quoi que ce soit de nouveau au sujet de l’Afghanistan et de tout ce que l’on peut y vivre. Après tout, j’avais rencontré tant de patients et entendu tant d’histoires de toutes sortes dans mon rôle de clinicien en santé mentale lors de mon séjour et par la suite, qu’un ouvrage de la sorte ne m’attirait que plus ou moins. En fait, cet ouvrage devait m’attirer plus que je le pensais, car j’y revenais régulièrement, pratiquement à toutes les fois que je me rendais à la librairie. N’ayant aucune attente particulière, je me suis donc mis à le lire à temps perdu. Rapidement, j’ai plongé dans le livre pour ne plus le mettre de côté et j’ai constaté que ce récit personnel, tout particulièrement par son intensité, sa véracité, sa franchise et toute la gamme d’émotions qu’il me faisait vivre, était un livre hors de l’ordinaire.

Mon Afghanistan est écrit par le lieutenant-colonel Steve Jourdain, qui a commandé en 2009 la compagnie C du groupement tactique 2e Bataillon, Royal 22e Régiment pendant une mission opérationnelle de sept mois en Afghanistan. Officier d’infanterie de profession, ce dernier est diplômé du Collège militaire royal du Canada et détenteur d’une maîtrise en études de la conduite de la guerre. Les actions et les comportements du lieutenant-colonel Jourdain en Afghanistan ont eu une portée si significative sur la mission et sur les troupes qu’il commandait qu’il s’est vu décerner la Médaille du mérite militaire en 2012.

Pour commencer cette critique, c’est sans la moindre hésitation que je me permets d’affirmer que le livre du lieutenant-colonel Steve Jourdain est un chef-d’œuvre de récit autobiographique. L’auteur écrit sans prétention et partage généreusement avec ses lecteurs et ses lectrices la longue route sinueuse d’une mission en théâtre d’opérations, exposant les défis, les enjeux, les frustrations, les peines, les colères et aussi toute la fierté que comporte le commandement d’une compagnie du prestigieux R22R en zone de guerre. Il est assorti de prestige, d’honneur, mais aussi de la pression constante de représenter le régiment le plus décoré de l’histoire militaire canadienne. Le lieutenant-colonel Jourdain réussit dans son ouvrage à bien mettre en perspective les aspects familiaux liés à la vie militaire et à tous les déchirements vécus par les membres de la famille lors d’un déploiement.

Ensuite, le style terre à terre, parfois direct et quelquefois sans filtre nous amène à nous questionner, à nous positionner et à ressentir de l’empathie pour le commandant et sa troupe dans leurs bons comme leurs mauvais moments. Pour ma part, comme je connais personnellement quelques militaires qui ont servi sous les ordres du lieutenant-colonel Jourdain, les descriptions et les explications prennent parfois des significations particulières et m’aident à saisir la portée des accomplissements, des difficultés et des souvenirs qui demeurent ancrés dans la tête de certains. Lors du décès du major Yannick Pépin, j’occupais les fonctions de chef des services psychosociaux et de santé mentale de la Formation Europe des Forces armées canadiennes et j’ai été appelé à intervenir auprès d’anciens collègues et amis de ce dernier qui étaient à ce moment affectés en Belgique. Ainsi, les événements relatés dans l’ouvrage m’interpellent à bien des égards, car j’y ai été impliqué indirectement.

Pour continuer, un aspect qui me laisse croire aux qualités exceptionnelles de leader de l’auteur est la place et la reconnaissance qu’il accorde aux membres de sa troupe. Loin de saisir la balle au bond pour s’attribuer tout le mérite, le lieutenant-colonel Jourdain fait plutôt ressortir les forces des principaux membres de sa compagnie tout en mettant à l’avant-scène la contribution de tout un chacun aux réussites communes du groupe. La camaraderie et le travail d’équipe sont des thèmes pleinement développés dans cet ouvrage.

Soyez assuré que ce livre n’est pas une histoire de guerre. Il s’agit d’un témoignage profond, pleinement humain, teinté de sentiments tantôt positifs, tantôt négatifs et d’un sens de la critique et de l’analyse propre à ce que l’on peut facilement définir comme une expérience de vie marquante. Ce livre est vivant et il nous transporte jusqu’au point de nous faire vivre ou revivre, pour certains, une mission ardue aux défis constants. Pour ceux et celles qui sont allés en Afghanistan, cet ouvrage remet les pendules à l’heure, et dans mon cas personnel, il me réconcilie avec bon nombre d’événements dont je ne pouvais comprendre la portée en 2006 ou dans les années qui ont suivi. Pour ceux et celles qui n’y ont jamais mis les pieds, il vous fera vivre une expérience littéraire hors du commun en vous transportant dans le quotidien de militaires en déploiement dans une zone hostile.

En somme, c’est avec conviction que je vous recommande la lecture de cet ouvrage de grande qualité, qui confère un sens unique en son genre, voire individuel, à une expérience militaire et personnelle hors de l’ordinaire. Cet ouvrage est accessible à tous les lecteurs qui s’intéressent aux affaires militaires ou encore aux témoignages autobiographiques. À mon sens, cet ouvrage devrait devenir le livre de chevet des stagiaires de l’École de leadership et de recrues des Forces canadiennes et des étudiants du Collège militaire royal afin de les aider à bien saisir ce que signifie véritablement « servir dans les armes de combat ».

Lieutenant-colonel Jourdain et membres de la compagnie C du 2e Bataillon, Royal 22e Régiment qui avez participé au déploiement en Afghanistan en 2009, merci pour votre contribution, et comme vous le dites si bien, « souvenez-vous », car elle est tout à votre honneur!

Critique de Dave Blackburn

Le professeur/chercheur Dave Blackburn, Ph.D., est docteur en sciences sociales avec une spécialisation en sociologie de la santé. Il poursuit ses activités professionnelles à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) – Campus de Saint-Jérôme, où la santé mentale et l’intervention psychosociale chez les militaires et les anciens combattants sont au cœur de ses travaux de recherche. Il a été officier travailleur social et il détenait le grade de major au moment de sa retraite en juin 2014.

www.journal.forces.gc.ca/vol15/no2/page67-fra.asp

•••

Mon Afghanistan

Préfacé par le major-général Forand, ce livre constitue le premier témoignage d'un officier canadien francophone sur son expérience afghane.

L'auteur, commandant de la 3e compagnie du célèbre 22e régiment, commence par raconter en quelques pages ses débuts dans la carrière militaire, son aspiration à servir en opérations avec ses hommes, la désignation pour un mandat en Afghanistan et la phase de préparation qui précède. Au fil des chapitres, il décrit ensuite son quotidien et celui de ses subordonnés, de l'arrivée à Kandahar et l'installation sur «la base de patrouille de Sperwan Ghr, notre résidence permanente pour les sept prochains mois», jusqu'à sa relève par la compagnie C du 2e bataillon du Princess Patricia Canadian Light Infantry. Le récit ressemble certes à d'autres témoignages déjà publiés en France, mais en y ajoutant cette touche particulière d'une organisation militaire différente (armée canadienne) et d'une culture (il est canadien-français) à la fois très proche et distincte. Les constats qu'il fait par exemple sur la situation intérieure du pays ne surprendront pas (voir les propos sur la drogue ou ceux sur la police locale). De façon très simple, très humaine, il raconte les sorties, les patrouilles, les embuscades, les tirs de roquettes et les IED, mais aussi la question des prisonniers, la part d'initiative qui s'impose à chacun sous le feu, les jeux de cartes et l'argent pendant les heures de repos, le rôle des médecins et infirmiers, l'anniversaire d'un jeune camarde sur le poste isolé, les villageois qui entourent les soldats en hurlant après la mort de deux suspects, etc.

Au retour, ils passent (eux aussi) par Chypre. Trois jours de décompression, avec un peu trop de bière parfois...: «Après plus de six mois passés dans les conditions les plus difficiles, ils l'ont bien mérité». C'est enfin l'arrivée au Québec, comme les Anglo-Saxons savent recevoir leurs unités qui rentrent au pays: «Dans l'aire d'accueil de l'aéroport, la musique du Royal 22e Regiment est présente et commence à jouer quand le premier d'entre nous a passé la porte», au milieu du public. Un témoignage simple mais fort et qui respire l'authenticité. En annexe, les organigrammes du régiment et de la compagnie et au centre du volume un cahier-photos avec plusieurs dizaines de clichés personnels.

Remy Porte4 juin 2013.