Déserteurs et insoumis Les Canadiens français et la justice militaire (1914-1918)

Déserteurs et insoumis Les Canadiens français et la justice militaire (1914-1918)

Ce livre est petit de format  mais grand par sa richesse d’information historique

Il traite apparemment d’un sujet statistiquement marginal: le traitement judiciaire de 150 déserteurs canadiens français et des 7 d’entre eux qui ont été fusillés pour ce motif. Le terme marginal peut être accepté si l’on se réfère au fait que durant la première guerre mondiale, le Canada a mobilisé sous les drapeaux 600 000 hommes.

Ceci étant, ce livre est là pour démontrer que l’étude de faits marginaux  est un sûr moyen pour avoir accès à des facettes de la réalité historique, bien difficile à saisir autrement. Il  en apprend beaucoup sur des comportements qui eux ne sont pas d’importance statistique marginale

A l’origine mémoire de maitrîse,  l’ouvrage s’est attaqué à un lieu commun de la mémoire politique canadienne: celui selon lequel, la communauté francophone n’aurait pas fait tout son devoir, lorsqu’il s’est agi de fournir un appui à l’ancienne puissance coloniale: l’empire britannique.

Il en est résulté une enquête rigoureuse, faite selon une démarche qui nous plait beaucoup au CRID  et qui consiste, préalablement à tout lancement d’hypothèses hasardeuses à s’attacher à comptabiliser les faits bruts et à les analyser sans à-priori.

Ainsi Patrick Bouvier, pour répondre à la question posée  a  choisi de mesurer l’ampleur du phénomène de l’insoumission et de la désertion au Canada francophone en le mettant en perspective dans le cadre du  Canada dans son ensemble

Ce travail est pour le lecteur français qui s’intéresse  à l’histoire de la Première Guerre mondiale d’un grand intérêt car il traite d’une réalité canadienne, bien peu connue, compte tenu du tropisme hexagonal qui affecte nos recherches historiques en ce domaine.

Un premier effet heureux de ce livre est de décrire très synthétiquement, de manière inattendue, la spécificité de la justice militaire anglaise, à laquelle était soumis le corps expéditionnaire canadien. De nombreux ouvrages en anglais existent sur ce sujet mais il est agréable en quelques pages ( p.34 à 60) de trouver en français une claire représentation d‘un système par certains points semblable au système français mais qui sur plusieurs points importants, s’en éloigne beaucoup.

Le plan du livre est classique, partant du général pour arriver au particulier. Il débute par un bilan historiographique sur la représentation du phénomène de la désertion au Canada, en regard du reproche plus ou moins formulé d’une réticence du Canada francophone à se soumettre à l’impôt du sang. Ce débat, interne au Canada,  est clairement exposé et on perçoit, à cette occasion que les avis des historiens canadiens sont bien partagés.

Je passe sur le chapitre 2 traitant de la législation militaire pendant 14-18, déjà invoqué, en insistant sur son aspect synthétique et informationnel, indispensable pour tout chercheur sur la guerre anglo-saxonne et sa justice militaire.

On en arrive alors à la partie la plus neuve pour un lecteur français, celle concernant la réalité de la plus ou moins grande réticence de  la société canadienne à participer physiquement aux combats en Europe. Elle est traitée excellemment dans les deux derniers chapitres . L’image que l’on a d’un enthousiasme spontané des dominions britanniques, volant au secours de l’ancienne puissance coloniale n’est pas invalidée par cette étude qui montre, de la part des Canadiens, une bonne volonté évidente se traduisant par de nombreux engagements (483 000 sur la durée de la guerre pour un pays de 7 200 000 habitants)  et un appui de la presse, aussi bien anglophone que francophone à ce qu’une réponse favorable soit faite à l’appel à solidarité de la Grande Bretagne.

On apprend sur ces entrefaites toutefois que des enjeux de politique intérieure,  d’ordre communautaire ont produit de fait une certaine distanciation dans l’opinion francophone. En effet la province de l’Ontario en 1912 avait réduit l’enseignement du français alors qu’une forte communauté francophone résidait dans le nord-est de cet état. Un journaliste homme politique Armand Lavergne a  résumé lapidairement le différent en 1914: «se battre pour l’Angleterre?... «qu’on nous rende nos écoles!»

Jusqu’en 1917, ce débat est toutefois resté larvé puisque les hommes qui s’enrôlaient le faisaient par engagement volontaire sans coercition étatique.

On apprend que les choses ont changé en 1917, quand, suite aux demandes d’effectifs supplémentaires de la Grande Bretagne, a été débattue politiquement la nécessité de passer au système, inconnu jusqu’alors, de la conscription, système qui sera finalement adopté en août de cette même année.

La solution adoptée, par ses compromis, dûs à la pression de l’opinion,  peut dérouter les historiens européens, peu familiers de la situation socio-politique de la société canadienne. L’auteur rappelle que le Canada n’avait pas de tradition d’armée de métier ou d’expédition guerrière. La troupe réglée ne dépassait pas en 1914 trois mille hommes dont un bataillon d’infanterie, 2 régiments de cavalerie et quelques compagnies de génie. Cet infime noyau était censé impulser l’esprit et la science militaire à une armée de milice, qui, si elle affichait des effectifs proches de 70 000 hommes en 1914 n’était que le résultat d’un agrégat d’hommes à la formation militaire épisodique et marginale dans leur vie.

L’auteur montre bien que le législateur a été prudent. Dans sa loi sur le service militaire voté en août 1917 il n’a prétendu procéder qu’à une levée sélective portant en priorité sur les jeunes de 20 ans, célibataires ou veufs sans enfants,  et ce dans une limite qui ne devait pas dépasser un volume d’une centaine de millier de conscrits. Or, l’annonce de ce projet  provoqua des remous dans de nombreuses villes, voire des émeutes comme dans celle de Québec à Pâques 1917 qui dura  plusieurs jours, étouffée seulement par l’engagement de la troupe au prix de la mort de quatre manifestants

Le résultat en fut donc cette loi précautionneuse dont la société comprit bien qu’elle ouvrait des échappatoires dont elle se saisit sans retenue. En effet, pour les pays continentaux européens, habitués à la conscription universelle, cette loi peut paraître bien singulière. Elle permettait en effet de faire appel de la décision de conscription auprès de tribunaux administratifs locaux, chargés de prendre en compte le bien fondé  de cet appel et reconnaître  ou non la licéité de l’exemption réclamée. C’était  une conscription juridiciarisée.

Elle l’était d’autant plus que les 6 motifs d’exemption étaient si flous qu’ils permettaient toutes les interprétations:

«Instruction et études servant à l’intérêt de la Nation

Mauvaise santé

Objection de conscience

Obligations exceptionnelles à un point de vue financier, commercial ou domestique

Aptitudes spéciales à  un travail servant l’intérêt national

Dans intérêt national doit continuer à s’occuper de ses travaux normaux»

Aussi, chose assez peu croyable en France,  les tribunaux locaux d’exemption, peu attentifs à la demande de l’état fédéral, ont en moyenne générale accordé les exemptions à 90% et plus à l’exception des territoires de la façade Pacifique, (dans les 70% toutefois) la palme revenant à la province du Québec avec 95% d’exemptions.

A la fin de 1917, le bilan fut effectué: Sur 405 000 conscrits qui s’étaient présentés et examinés, 381 000 avaient demandé l’exemption: 115 000 sur 117 000 Québecois et 118 000 sur 125 000 Ontariens. La loi ne retint donc dans ses filets à cette date que 24 000 conscrits à former et à envoyer en Europe.

L’ouvrage utilise finement un grand nombre de tableaux statistiques, intelligemment commentés, pour démontrer la manière dont ce camouflet a été infligé aux autorités fédérales. Ce refus, légal, de la conscription est assez peu connu et l’auteur l’expose par le biais de statistiques finement choisies et analysées avec beaucoup de brio .

Après avoir démontré que toutes les provinces ont réagi à peu près de la même manière à l’instauration de la conscription, l’auteur s’attaque alors à une autre vérité statistique, celle qui récapitule le nombre de ceux qui ne se sont même pas présentés à la convocation et n’ont même pas cherché à utiliser les évasions légales. Pour la  province de Québec, le taux a été de 44%, largement supérieur aux taux des autres provinces qui oscillent entre 16 et 4%. Là aussi ce constat  sur cette population « d’insoumis»  amène l’auteur à des analyses nuancées,  qui corrigent les conclusions que l’on pourrait tirer de la brutalité des chiffres.

L’auteur, après cette étude de la réalité de l’insoumission descend d’un cran pour consacrer son regard à une population encore plus restreinte: celle des déserteurs. Pour ce faire il s’intéresse au devenir de 148 francophones, passés en cour martiale sur accusation initiale de désertion. Parmi eux 61 ont été reconnus coupables de désertion, les autres d’absence sans permission, nuance qui leur a évité d’être passible de la peine de mort. Pour les 61 qui en étaient passibles, 7 seront fusillés. (p. 86 à 120).

Si ces chiffres sont faibles ils sont utilisables historiquement quand ils sont comme ici mis en perspective avec ceux qui concernent l’ensemble de l’armée canadienne, et les armées britannique et  française On peut apprécier la richesse des tableaux statistiques qui permettent d’avoir toujours présent à l’esprit une juste idée des choses, obtenue par une grande richesse informative,  sélectionnée avec soin et contenue dans quelques pages très denses  et très éclairantes. Il en est ainsi en particulier en ce qui concerne   le côté forcément erratique du fonctionnement de la justice militaire, dans les divers pays.  «Simple composante du processus pénal» comme le pense le magistrat anglais Anthony Babington,  elle est décrite par Patrick Bouvier comme appliquant «un droit incitatif au maintien de la discipline …qui place les intérêts de la communauté  avant ceux des individus» p. 35. Les tableaux statistiques sont enrichis des considérations tirées de l’exploitation des dossiers judiciaires  des prévenus.

La conclusion en quatre pages, s’appuyant sur la démonstration faite au fil de l’ouvrage, expose clairement la réponse à la question polémique de départ portant sur le supposé manque de sens patriotique de la communauté francophone. Mais comme on l’a vu, elle va bien delà dans la connaissance d’une spécificité canadienne: le refus de la société à s’imposer la conscription.

Ce livre, il faut bien le dire, ne se consulte pas comme un roman. Son abord est austère mais il est à recommander pour les jeunes chercheurs en histoire de la première guerre mondiale, tant pour la foule d’informations précieuses qu’il recèle (à noter la richesse des annexes) que par la méthode rigoureuse avec laquelle l’enquête historique a été menée

Je me dois de noter la présentation incomplète et donc de ce fait parfois erronée de la justice militaire française. On ne peut en tenir en rigueur à l’auteur, eu égard au manque de sources publiées à la date de réalisation de son ouvrage. Hormis cette remarque cette fois tout à fait «marginale» et qui n’a aucune incidence sur la qualité et l’intérêt de l’ouvrage, ce petit livre se doit de pénétrer la communauté des chercheurs en histoire sur le premier conflit mondial.

André Bach. Journée du livre de Craonne, novembre 2006.

•••

C'est dans l'indifférence presque générale que le ministre des Anciens combattants a prononcé le discours annonçant la réhabilitation d'une vingtaine de Canadiens exécutés par les autorités militaires lors de la Première Guerre mondiale, en décembre 2001. Qui dit réhabilitation, dit remise en question. Parmi eux, des Canadiens français accusés de désertion qui, contrairement à beaucoup d'autres accusés du même crime, durent affronter le peloton d'exécution. Dans quelles circonstances et par quelle justice furent-ils jugés? C'est ce que Déserteurs et insoumis nous permet de cerner.

Le sujet d'étude, les militaires canadiens-français et la justice martiale lors de la Première Guerre mondiale, ne doit pas occulter la vraie nature de cet essai tiré du mémoire de maîtrise de l'auteur. C'est par l'histoire sociale que Patrick Bouvier aborde cette épineuse question de la désertion des Canadiens français et l'étude est à la fois sociale et juridique. En effet, tout en tentant de connaître le portrait social des déserteurs, l'auteur veut définir le phénomène de la désertion des Canadiens français et présenter le mécanisme juridique militaire.

En consultant la liste nominative des militaires jugés en cour martiale, et en se basant sur la consonance française des noms, l'auteur a pu retracer 148 présumés déserteurs canadiens-français. L'examen attentif de leurs dossiers a ensuite permis de confirmer leurs origines canadiennes-françaises. De son propre aveu, l'auteur admet qu'un petit nombre de dossiers a pu ainsi lui échapper.

L'essai de Bouvier se divise en quatre parties. L'analyse de l'historiographie portant sur la désertion constitue le premier chapitre. Ce délit n'étant qu'un des nombreux crimes jugés par la justice militaire, il n'est pas surprenant de constater que les recherches portent plus sur la justice militaire en général que sur ce seul type d'infraction. Néanmoins, les études françaises et britanniques, consultées par l'auteur, pointent vers une justice arbitraire, «pour l'exemple», dans les cas de désertion. Du côté français, on souligne l'attitude de l'état-major qui optait pour la répression de l'indiscipline. Quant aux historiens britanniques, ils délaissent un peu la théorie de la justice militaire pour accorder maintenant plus d'importance au processus judiciaire martial, à ses composantes et à ses limites inhérentes aux circonstances. Au Québec, les études portent le plus souvent sur la crise soulevée par la conscription.

La deuxième partie de l'étude est consacrée à la législation militaire lors de la Première Guerre mondiale. Par la Loi de la Milice de 1904, l'armée canadienne est soumise à l'Army Act britannique (1881) qui régit la vie militaire et la discipline dans l'armée. Lorsque, en 1914, les troupes canadiennes rejoignent l'armée britannique, elles sont placées sous commandement britannique et se retrouvent ainsi assujetties à la loi martiale britannique qui, faut-il le préciser, prévoit des cours martiales dont les décisions sont sans appel.

L'analyse du phénomène des réfractaires au Québec compose la troisième partie. L'auteur y relève quelques événements qui, selon lui, auraient contribué à faire basculer une société canadienne-française d'enthousiaste qu'elle était au début de la guerre, vers un mouvement largement répandu d'opposition.

C'est enfin dans la quatrième partie que l'auteur aborde directement la question des déserteurs canadiens-français. Grâce à leurs dossiers, il analyse leur provenance, leur âge moyen à l'enrôlement, leur occupation professionnelle et leur répartition dans le Corps expéditionnaire canadien afin de trouver un dénominateur commun entre les déserteurs.

Qu'il soit conscrit ou non, le déserteur est celui «qui décide de quitter son unité, que ce soit en temps de paix ou de guerre, durant un engagement, en entraînement ou en permission» (p. 11). Le Corps expéditionnaire canadien lors de la Première Guerre mondiale, pour des raisons politiques relevant du statut du Canada en 1914, s'est retrouvé sous le commandement britannique.

Cette justice militaire, aux cadres stricts et rigides, mais aussi avec ses lacunes, aurait désavantagé les Canadiens français soumis à sa rigueur. En effet, ils ne pouvaient bénéficier des services d'un interprète lorsqu'ils témoignaient devant des juges unilingues anglais. Il faut noter, en contrepartie, que dans le cas du 22e Bataillon (composé de Canadiens français), toutes les recommandations de clémence du commandant à l'égard des inculpés de son unité furent acceptées (p. 32).

Ces hommes reconnus coupables de désertion, la plupart d'entre eux des volontaires, auraient-ils suivi la tendance descendante de l'enthousiasme pour la guerre observée chez les Canadiens français? Au tout début des hostilités, à l'automne 1914, les hommes se pressaient aux bureaux d'enrôlement. La certitude d'une fin rapide du conflit, le goût de l'aventure ou le sens du devoir, jumelés à une crise économique dans le secteur de la construction à Montréal entre 1913 et 1915 sont autant de raisons qui pourraient expliquer cet enthousiasme des premiers jours. Les aléas de la guerre (surtout les lourdes pertes subies dès 1916) eurent un double impact: la montée des idées conscriptionnistes, également proportionnelle à la chute de l'engouement des Canadiens français pour la guerre. L'imposition de la conscription sera contrecarrée par le recours massif des Canadiens français aux mécanismes d'exemption, à tel point que le gouvernement dut les abolir en avril 1918 (p. 71).

Même si les déserteurs reflètent, par leur comportement, le courant d'opposition des Canadiens français au conflit, il n'existe toutefois pas de nombreuses similarités chez les déserteurs étudiés par Bouvier. Les trois quarts d'entre eux étaient célibataires et leur moyenne d'âge était de 23 ans, ce qui ne les différencie pas des soldats canadiens.

La lecture de Déserteurs et insoumis soulève plusieurs questions. Ainsi, y a-t-il eu resserrement de la discipline au cours de la Première Guerre mondiale? Si l'auteur aborde cette question, il n'apporte toutefois pas une réponse définitive, les limites de son étude ne le lui permettant pas. Malgré cela, l'étude de Patrick Bouvier constitue une importante contribution à l'historiographie québécoise sur la Prernière Guerre mondiale.

Marcelle Cinq-Mars, Musée du Royal 22e Régiment. Histoire sociale – Social History, vol. XXXVIII, no 75, mai-May 2005.

•••

Depuis 1994, année du premier colloque d’histoire militaire sur le Canada français et les conflits contemporains, une multitude de mémoires de maîtrise, de thèses de doctorat et de publications sur le sujet ont vu le jour, contribuant ainsi à combler ce «trou noir» de la mémoire collective des Québécois. S’inscrivant dans cette vague, Patrick Bouvier, jeune titulaire d’un M.A. en histoire de l’Université du Québec à Montréal, aujourd’hui enseignant dans une école secondaire de Montréal, nous propose à travers son livre d’analyser les militaires canadiens-français du Corps expéditionnaire canadien sous un angle nouveau.

Voulant mettre fin aux idées préconçues et aux légendes urbaines qui perdurent depuis la Première Guerre mondiale, à l’effet que les militaires canadiens-français ont été nombreux à fuir l’enrôlement et à rompre les rangs une fois enrôlés, Patrick Bouvier s’est intéressé aux déserteurs et à la justice militaire à laquelle ils ont dû faire face. Pour plusieurs Canadiens, le déserteur ou l’insoumis n’était ni plus ni moins qu’un peureux, voire un lâche. Au Québec, au contraire, le déserteur fut longtemps valorisé et nombreux furent ceux qui en firent le symbole du héros bravant l’autorité fédérale anglophone. Cette image du déserteur, de même que le souvenir de la conscription, ont complètement occulté l’effort de guerre des autres.

L’intérêt de Bouvier pour ce sujet a d’abord résulté en un mémoire de maîtrise, qui fut par la suite remanié, augmenté et publié. Dans son livre, il nous présente son sujet en quatre volets. Il y a d’abord un survol de l’historiographie existante sur le sujet, tant au Canada (trop peu nombreuse) qu’en Europe (plus abondante). Dans une seconde partie, il étudie en détail les lois du code de discipline britannique, le Army Act, auquel étaient assujettis les soldats canadiens au cours de la Première Guerre mondiale. Dans son troisième volet, Bouvier tient à bien définir ce qu’est un déserteur, en le différencier du réfractaire (objecteur de conscience ou insoumis). Enfin, dans son dernier volet, il aborde le cas des déserteurs canadiens-français proprement dit; ce qu’ils ont fait et ce qu’ils étaient.

Cet ouvrage est, bien sûr, une étude sociologique. Devant le peu d’études approfondies sur le sujet, Bouvier a dû surtout se rabattre sur les dossiers personnels de ces «criminels» – environ 148 présumés déserteurs – pour en faire une analyse détaillée. Bien que ces dossiers personnels aient constitué le cœur de l’étude, il aurait peut-être été aussi pertinent de consulter d’autres sources, par exemple les journaux. Nous aurions ainsi pu connaître davantage la perception des problèmes liés à la désertion et à l’insoumission au Canada français pendant et après la guerre. Cette lacune n’enlève toutefois rien à la qualité de cet ouvrage.

Ce livre, de petit format, est bien fait et est fort agréable à lire. Bouvier connaît certes bien son sujet et traite bien l’information tirée des fonds d’archives déjà largement exploités. Dans sa conclusion, il infirme, avec certitude, l’idée générale que les militaires francophones désertaient en grand nombre; seuls 61 Canadiens français furent reconnus coupables de désertion! Il est à souhaiter qu’une telle étude approfondie se fasse un jour pour l’ensemble du Corps expéditionnaire canadien.

Michel Litalien est employé à la Direction de l’Histoire et du patrimoine où il agit à titre d’Officier d’état-major – Musées des Forces canadiennes et des collections historiques.